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Photo du rédacteurCéline Morellon

Le temps au travail : entre perception et paradoxes

Dernière mise à jour : 30 mars 2022




«Le temps c’est de l’argent!» est un adage qu’on ne présente plus. Mais avons-nous encore une perception réaliste du temps au travail ?

Avec la technologie et l’immédiateté qu’elle permet, nos attentes et notre perception du temps a évolué. Les courriels arrivent à toute heure, les notifications de messages poppent sur notre écran d’ordinateur. Notre téléphone nous suit dans toutes les pièces de la maison. La tendance s’est amplifiée avec le recours massif au télétravail : à l'ère du numérique, le temps au travail équivaut au temps qu'il faut pour faire son travail (même quand la liste de tâches augmente progressivement dans la journée…)

Ce phénomène qui est en train de modifier radicalement le monde du travail, je l’appelle la fracture du temps!



La perception du temps de travail est paradoxale: efficacité vs efficience

Le rapport au temps est d’abord culturel. Notre monde hyper industrialisé et hyper connecté a mené à une distorsion de la perception du temps. On est passé de l’émerveillement de voir tout aller plus vite à tout doit aller vite.

Avec la technologie nous allons plus vite et nous nous sentons plus efficaces. Mais, c’est justement de ce faux sentiment de performance que provient la distorsion du temps. Nous allons plus vite pour avoir le temps d’en faire plus… En bref, on va plus vite pour aller plus vite. Les motivations ont bien changé par rapport à un temps où on courait pour se sauver ou pour manger, des raisons plus que concrètes! Aujourd’hui, on court uniquement parce que l’autre court à côté de nous…


Connaissez-vous la distinction entre efficacité et efficience?

Si dans un vox-pop je demandais aux passants de m’expliquer la différence entre les deux notions, je prends le pari que je n’obtiendrais pas beaucoup de bonnes réponses. Pourquoi? Parce que la définition de l’efficience est venue remplacer celle de l’efficacité. Être efficace, c’est atteindre les résultats prévus. Être efficient, c’est atteindre les résultats prévus en utilisant moins de ressources. Beaucoup d’entre nous ont intériorisé la – fausse - notion que quelqu’un d’efficace c’est quelqu’un qui fait aussi bien sinon mieux avec moins. Et, lorsque les matières premières sont exploitées au maximum compressible ou que les ressources sont les mêmes pour tout le monde, que reste-t-il ? La guerre du temps. Avec le temps, (sic) cette situation devient insoutenable! C’est une roue sans fin, un cercle vicieux d’éternelle insatisfaction!

Un autre paradoxe a amené une grande complexité dans les organisations : dans le rapport entreprises-consommateurs, le consommateur veut de la qualité, tout de suite. De l’autre, il veut son produit éco-éthico-socio-politico-responsable qui nécessite de prendre son temps pour bien faire les choses!



Être plus efficace, c’est être excellent dans ce que l’on fait, expert, pointu, unique. Curieusement, on comprend que l’excellence exige de l’entraînement et donc du temps, beaucoup de temps pour parfaire ses connaissances, son savoir-faire. Les jardins japonais et la minutie qui y est consacrée sont une illustration assez fascinante de l’équation temps/excellence. Être plus efficace ne devrait pas correspondre avec faire plus avec moins.

Au sein des organisations, on évolue donc, dans un paradoxe où chacun reconnait, au moins intuitivement, que le rapport au temps est un désavantage, voire un obstacle, mais au lieu de le ralentir, il est devenu LA monnaie d’échange entre employés et employeurs : télétravail, structure agile, journées mieux-être, temps de déconnexion, démocratisation et explosion des projets d’entrepreneuriat... Choisir «ce que je fais et quand je le fais» est devenu le nouveau luxe et donc le nouveau levier de négociation. Les jeunes générations réclament un respect de la vie, la leur, celle des autres, l’actuelle et la future et de pouvoir étirer l’espace-temps de leurs décisions. Cette exigence de prendre le temps de profiter de la vie est une révolution en soi!




La pandémie, en arrêtant tout le monde ou presque, est venu briser le rythme, redonner sa place au temps et à la réflexion de ce que l’on en fait. La COVID-19 est venue fissurer le paradoxe du temps et la pénurie de main-d’œuvre qui perdure risque de le fracturer complètement. Et c'est en partie pour cela que le phénomène de décroissance ou de croissance zéro monte en puissance.

Alors comment modifier notre rapport au temps au travail ?

Premièrement, il faut réapprendre à se donner du temps. Se l’offrir en cadeau. L’ennui et le farniente sont des activités nourricières d’énergie et surtout de créativité.

Professionnellement parlant, il faut arrêter de considérer que le fait de ne pas travailler est une période improductive. La période de “non-travail” devrait être vue comme un privilège ou un temps utile à la société. Ce sont des périodes de vivre autrement!

Et comme je le disais plus haut, la perception du temps est avant tout culturelle. Grossièrement, il existe deux modèles d’organisation du temps selon Edward T Hall: le polychrone et le monochrone.

En Amérique du Nord, nous sommes monochronés, c’est-à-dire que le temps y est perçu comme linéaire ou séquentiel. On gère son horaire en priorisant les choses les unes par rapport aux autres, ce qui nous donne une fausse perception que le temps est tangible et que l’on peut le contrôler. Dans une culture polychrone, le temps est une donnée flexible et calibrée en fonction de ce que l’on fait. On accorde plus d’importance à la qualité du temps passé, surtout au niveau relationnel qu’à la durée qu’on y consacre. Donner du temps au temps, la montre devient une source d’information, donc une carte, plutôt qu’une boussole.

En bref, tout est affaire de cohérence. Un système monochrone n’est ni meilleur ni pire qu’un polychrone. Il ne danse simplement pas le tango ensemble. C’est peut-être ici une des explications des conflits générationnels qui créent parfois des tensions dans les organisations. Je crois que les milléniaux et les GenZ ont une tendance plus polychrone, un beau mélange des sphères professionnelles et personnelles et un rejet des contraintes arbitraires, alors que les générations précédentes préfèrent avoir dans leur agenda des tâches organisées et priorisées.

Au-delà de la bienveillance, il existe quelques clefs plus humaines pour étirer le concept de temps sans en perdre :


  • la méthode Pomodoro : réconcilier le temps de la montre avec notre temps biologique: à chaque tranche de 25 minutes de travail on s’accorde un 5 à 10 minutes de repos ou pour faire autre chose. Cette méthode augmente l’efficacité en intégrant des temps de repos actifs au cerveau. Bien sûr, quand on est sur une lancée au bout de 25 minutes on peut s’en rajouter 25, à condition de prendre un vrai 10 minutes de repos par la suite.


  • l’agilité : les entreprises agiles ne sont pas toutes des succès, mais elles attirent parce qu’elles offrent des lieux de travail où la liberté d’agir et de penser sont des mantras de base. Leur réussite est aléatoire parce qu’elle est difficile à maintenir dans un contexte culturel et social où l’agilité n’est pas la norme.


  • réduire les distractions : le vortex du «tout, tout de suite» est alimenté par la pollution informationnelle. On essaye de pratiquer la pleine conscience au quotidien et de saisir l’instant présent, même on ne commence qu’avec 5 minutes par jour.


  • Laisser de la place au silence : Il est souvent assourdissant, mais laisser s’exprimer les silences étire définitivement le temps…


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